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“Les Liaisons dangereuses” : un diamant théâtral en forme de brûlot

Hélène Kuttner 29 septembre 2024
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© Cédric Vasnier

À la Comédie des Champs-Elysées, Arnaud Denis adapte et met en scène le chef-d’œuvre de Choderlos de Laclos, souvent adapté au cinéma, dans des costumes et des maquillages du XVIIIe siècle. Un trio d’excellents comédiens, Delphine Depardieu, Valentin de Carbonnières et Salomé Villiers, mène ce jeu où la monstruosité se double d’une séduction perverse. Un spectacle fascinant, porté par une langue sublime, et qui reste profondément actuel.

Un parfum de scandale

C’est l’œuvre scandaleuse qui défraya la fin du XVIIIe siècle, et qui sera ensuite censurée par le moralisme du XIXe siècle. Dès sa parution, en 1782, ce roman épistolaire, directement inspiré de La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, dépasse les frontières de la France puisque le roman est traduit en allemand l’année suivante, puis en italien, japonais, hongrois, polonais, portugais, russe, etc… pour conquérir ensuite l’édition du monde entier. Au cinéma, Roger Vadim s’empara du roman de Choderlos de Laclos en 1959, en choisissant Jeanne Moreau et Gérard Philippe pour camper Merteuil et Valmont, tandis que Stephen Frears défraya la critique américaine avec l’adaptation britannique de Christopher Hampton portée par le trio John Malkovich, Glenn Glose et Michelle Pfeiffer en 1988. La raison de ce succès mondial et intemporel ? C’est que ces lettres, écrites dans un français ciselé, contiennent tout ce qui fait le sel des relations de domination et de pouvoir : la prédation sexuelle, la dissociation entre le corps et l’esprit, entre le sentiment et la raison, la vengeance des femmes sur les hommes, le désir de liberté d’agir sur monde et sur la société, la séduction poussée à l’état de monstruosité.

Une langue sublime

© Cédric Vasnier

La Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, dignes représentants de l’aristocratie, vont entreprendre, chacun de leur côté, la séduction d’une jeune fille naïve, tout juste sortie du couvent, Cécile de Volanges, et d’une femme vertueuse, Madame de Tourvel. Nos deux héros fomentent un véritable plan de carrière, qui repose sur l’arme guerrière de la séduction. Elle constitue pour eux un moyen d’action et de vengeance, en même temps qu’un stimuli de désir érotique. Merteuil souhaite se venger d’un ancien amant infidèle, qui doit épouser la jeune Cécile de Volanges. Quant à Valmont, il souhaite faire de la conquête de Madame de Tourvel un chef-d’oeuvre de parfait libertinage en attaquant en elle tout ce qui le menace : la religion, la vertu, la fidélité conjugale. Adapter une telle correspondance, qui met en jeu tant de personnages et d’actions savamment tricotées, relève d’un véritable défi, que relève haut la main le metteur en scène Arnaud Denis. Se défiant d’une modernité abêtissante, il a choisi de conserver des extraits entiers des lettres, auxquels il a ajouté quelques passages pour lier les scènes.

Un casting précieux

© Cédric Vasnier

Pour camper le duo des deux prédateurs à l’orgueil démesuré, il a fait appel à deux comédiens épatants qui s’accordent parfaitement. Delphine Depardieu parvient à incarner la Marquise de Merteuil avec une dureté non dépourvue de failles, tenant les rênes de ses intrigues secrètes avec la grâce d’une panthère lâchée dans la jungle des désirs. Valentin de Carbonnières est plus que parfait dans le rôle de Valmont, visage poudré et regard brûlant de loup, prêt à sauter et à se saisir de tout ce qui frémit devant ses yeux. Dans le rôle de Madame de Tourvel, qui sera la première victime de ce machiavélique plan de guerre, Salomé Villiers est d’une bouleversante humanité. Excellents également, la toute jeune Marjorie Dubus campe Cécile de Volanges, jeune vierge sacrifiée sur l’autel du libertinage, Michèle André nous régale de sa présence rassurante et chaleureuse, pas dupe dans le rôle de la tante de Valmont, tandis que Pierre Devaux et Guillaume de Saint Sernin interprètent avec talent les rôles du chevalier et du domestique. Les costumes élégants de David Belougou, les lumières de Denis Koransky, les projections légères de Jean-Michel Adam, avec le judicieux florilège musical de Bernard Vallery, participent à la réussite de ce spectacle qui ne cède jamais à la facilité vulgaire. Les mots et les acteurs sont rois, dans une mise en scène finement stylisée, destinée à tous les publics.

Hélène Kuttner

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